On ne compte plus les publications annonçant, entre autres, le remplacement imminent des techniciens de support utilisateurs par des IA — une prophétie qu’il convient de sérieusement nuancer…

Comme chaque nouvelle avancée des technologies d’intelligence artificielle, la disponibilité générale des grands modèles de langage et des applications d’IA générative a réveillé la machine à prédictions qui s’était emballée en 2015, lorsque les techniques de deep learning sont devenues largement accessibles.

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On voit donc de nouveau fleurir, ici et là, force listes de métiers condamnés à disparaître ou à évoluer radicalement. Les métiers reposant fondamentalement sur le langage – naturel ou code — et sur l’interaction y figurent en bonne place, d’où l’interrogation légitime des entreprises sur l’avenir des services de support et, partant, sur la place des techniciens qui accompagnent au quotidien les utilisateurs.

Relativiser les promesses de l’IA générative

Les applications d’IA générative grand public – ChatGPT, Perplexity, Mistral et autres chatbots de nouvelle génération – fascinent, à juste titre, car leur aptitude à « répondre à tout » avec une assurance déconcertante entretient l’illusion d’un savoir universel et de capacités illimitées. Malheureusement, il suffit de bien connaître un domaine — littéraire, technique, scientifique ou autre — pour constater que, malgré des progrès indéniables, la fiabilité n’est pas au rendez-vous. Ces robots conversationnels généralistes sont structurellement conçus pour avoir réponse à tout, quitte à répondre n’importe quoi ! Quel que soit le prompt qui leur est soumis, les syntagmes qu’ils agrègent selon des critères statistiques probabilistes aboutissent à des textes cohérents qu’il est facile de prendre pour argent comptant tant ils sont affirmatifs.

C’est pourquoi déléguer à ces produits l’assistance aux utilisateurs présente des risques à ne pas sous-estimer. Le premier est de laisser les utilisateurs seuls face à des réponses dont ils sont, pour la plupart, dans l’incapacité d’évaluer la pertinence technique dans le contexte spécifique de l’entreprise. Or — deuxième risque — les manipulations suggérées peuvent dépasser les compétences de l’utilisateur, s’avérer inopérantes, inappropriées, voire pires que le mal. Elles peuvent en outre – troisième risque — conduire à l’ouverture de brèches dans le dispositif de cybersécurité de l’entreprise, brèches dont on découvrira trop tard l’existence et dont on peinera à retrouver l’origine puisque rien n’aura été documenté.

Intermédier les relations IA-utilisateur

L’existence de ces risques ne signifie pas que le support utilisateurs doive rester à l’écart des possibilités offertes par les technologies à base d’IA. Pour en tirer avantage, c’est aux techniciens de support — et non directement aux utilisateurs – qu’il faut donner les moyens de les utiliser dans de bonnes conditions. L’utilisation d’une version payante d’une plateforme LLM peut être une première étape. Aux mains de techniciens à même, d’une part, de formuler des prompts circonstanciés d’un point de vue technique et, d’autre part, de juger de la pertinence des réponses, elle peut incontestablement les aider à travailler plus vite et, le cas échéant, les orienter vers des solutions auxquelles ils n’auraient pas pensé. Au lieu de laisser l’utilisateur face à un robot et à des réponses dont il ne comprend pas nécessairement les tenants et les aboutissants, le technicien reste un interlocuteur privilégié, un médiateur humain capable d’une compréhension immédiate et d’une empathie authentique que même les utilisateurs les plus portés à l’autonomie recherchent et apprécient.

Les versions payantes présentent d’autres avantages notables : elles offrent une meilleure protection des données issues de l’entreprise, ces dernières n’étant pas utilisées pour entraîner le modèle général. Elles permettent également aux techniciens de garder une mémoire des interactions et de développer à leur propre usage des assistants personnalisés qui augmentent leurs capacités de diagnostic, de traitement et de résolution de problèmes.

Comprendre les exigences des chatbots de support

Le développement de chatbots spécialisés destinés aux utilisateurs n’est pas une option à écarter pour autant. Ils ont vocation à prendre en charge les demandes les plus simples et les plus fréquentes des utilisateurs, afin que les techniciens puissent se concentrer sur les problématiques où leur expertise est vraiment nécessaire. Ces robots de self-service peuvent rendre de réels services, à deux conditions :

  • délimiter soigneusement leur périmètre, car, même à l’ère des IA génératives, l’assistant universel (fiable s’entend) reste une fiction ;
  • disposer des données nécessaires, en quantité et en qualité, pour entraîner convenablement le modèle et atteindre un taux de bonnes réponses satisfaisant tant pour les utilisateurs que pour les équipes de support.

Cette deuxième condition n’est pas la plus facile à remplir, car si toutes les organisations de support ont des données – sur les requêtes récurrentes, les configurations, les procédures de diagnostic et de résolution, etc. –, encore faut-il que les volumes soient suffisants et statistiquement représentatifs des problématiques qu’on souhaite couvrir. Au-delà de la question quantitative, le fait que les données existent ne garantit pas qu’elles soient aussi propres et complètes qu’il le faudrait pour être exploitables à des fins d’entraînement.

En d’autres termes, la mise en place d’un robot de support efficace demande un travail initial d’inventaire et de nettoyage des données qui peut s’avérer coûteux et, en outre, nécessiter des compétences spécifiques en data science qui sont loin d’exister dans toutes les entreprises. Si cela donne a priori un avantage aux grandes organisations, le fait que les éditeurs de logiciels spécialisés, tels que les systèmes de gestion de tickets et de gestion de bases de connaissances, intègrent progressivement des fonctionnalités d’IA dans leurs solutions et les « commoditisent » rend le développement de chatbots spécialisés accessible aux organisations de toute taille.

Quoi qu’il en soit, là non plus, ce type d’outil n’a pas vocation à remplacer les techniciens de support, ne serait-ce que pour que les utilisateurs sachent vers qui se tourner lorsque le robot est incapable de comprendre leur demande et par conséquent d’y répondre de manière satisfaisante.

Pour une intégration profonde de l’IA

L’IA générative occupe actuellement le devant de la scène. C’est oublier tout ce qui a précédé et que les éditeurs de solutions de support ont déjà intégré pour optimiser les processus et améliorer la qualité de service aux utilisateurs. On pense en particulier à l’automatisation des tâches répétitives telles que la réinitialisation des mots de passe ; à l’automatisation des mises à jour logicielles sur l’ensemble du parc ; à la supervision proactive des infrastructures afin de détecter les anomalies ; à l’analyse prédictive pour anticiper les problèmes et réduire les temps d’arrêt, notamment en matière de cybersécurité ; ou encore à la priorisation des tickets d’incidents selon des critères propres à chaque organisation.

Le tout contribue à la construction d’un environnement de support plus efficace dont l’IA est désormais un pilier, tout simplement parce que c’est la technologie dominante d’aujourd’hui.  De cette intégration profonde de l’IA dans les processus de support, les utilisateurs ne sont pas et n’ont pas nécessairement à être conscients. En revanche, ils en perçoivent les bénéfices en termes de disponibilité des moyens informatiques sans lesquels ils ne peuvent pas travailler ; en termes aussi de rapidité de résolution des difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans l’utilisation de ces moyens, grâce à des techniciens mieux outillés et plus disponibles.

Pas plus que les précédentes avancées, les phénoménales capacités de compréhension et de production discursives des IA génératives ne vont conduire demain à la disparition des techniciens de support ! La réponse à la question posée dans le titre de cet article est donc négative. Elle le restera tant que les entreprises aborderont le sujet sous l’angle de l’augmentation plutôt que sous celui du remplacement, en comprenant que ce qu’attendent les utilisateurs d’aujourd’hui, ce sur quoi ils jugent en réalité la direction informatique de l’entreprise, c’est la possibilité d’avoir un interlocuteur humain compétent et à l’écoute quand ils en ont besoin. Cet interlocuteur, c’est le technicien de support — un technicien « augmenté », travaillant avec les outils d’aujourd’hui pour offrir à chacun le meilleur service possible.