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Où en est votre entreprise avec le télétravail ?

Publié le

27/1/2023

par

Amélie .M

dans

Métiers

Près de trois ans après le 1er confinement, le télétravail a démontré sa viabilité à grande échelle. S’est-il pour autant banalisé ? généralisé ? La réponse est non. Retour sur les conditions d’acceptation et d’efficacité d’une forme d’organisation qui n’a pas fini de bousculer le questionnement sur la place et le sens du travail. 

Pouvoir télétravailler a été pendant des années une aspiration majeure des salariés français travaillant principalement dans un bureau. Aspiration largement insatisfaite puisque, avant la crise du Covid et malgré une législation assouplie en 2017 (Ordonnance « Macron » n°2017-1387), le télétravail régulier (au moins 1 jour par semaine) concernait seulement 3 % des salariés pouvant y prétendre (Insee-Dares, 2019). Parmi eux, 61 % de cadres alors que ces derniers ne représentent que 17 % des salariés. Même en tenant compte des pratiques occasionnelles, la proportion de télétravailleurs n’était que de 7,2 % (26 % chez les cadres) -- soit 1,9 million de salariés, sachant que, sur les 27 millions d’emplois salariés que comptait alors la France, 9 millions étaient considérés comme « télétravaillables ».

Les raisons de cette faible adoption n’étaient déjà pas à rechercher du côté d’éventuelles difficultés techniques ou impossibilités organisationnelles, mais bien dans la réticence des directions et de l’encadrement : fin 2018, 20 % des patrons et 45 % des managers se déclaraient toujours opposés au télétravail (Malakoff Médéric Humanis, 2019), le premier argument avancé étant, pour 93 % d’entre eux, l’incompatibilité du travail à distance avec le secteur d’activité et/ou les métiers de leur entreprise. 

Un rêve concrétisé, sous la contrainte… 

En déclarant, le 16 février 2020, « tous ceux qui peuvent télétravailler doivent télétravailler, c’est impératif », le premier ministre a balayé cet argument qui, comme l’a démontré la suite de l’histoire, était en grande partie fallacieux : quasiment du jour au lendemain, pas moins de 5 millions de salariés ont bel et bien cessé de venir au bureau et commencé à travailler chez eux -- y compris dans des secteurs où cette forme d’organisation, considérée comme impossible, n’avait jamais été sérieusement envisagée ! Voilà qui confirme, si besoin était, la phrase des Mémoires de Jean Monnet la plus citée depuis la crise du covid : « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ne voient la nécessité que dans la crise » … 

Dans le contexte très particulier des confinements, le passage brutal au télétravail à temps plein n’a pas forcément été bien vécu, y compris par ceux qui en avaient le plus rêvé. On sait que l’expérience a été particulièrement éprouvante pour les ménages avec enfants petitement logés, ainsi que pour les salariés qui, vivant seuls, se sont trouvés coupés de toute vie sociale pendant des semaines.

>> La productivité du travail en a-t-elle souffert ? Beaucoup moins que ne l’imaginaient la plupart des employeurs jusque-là réticents. Voire pas du tout dans des métiers comme ceux de la Relation Client et du télémarketing où le présentiel régnait en maître et paraissait indépassable aux superviseurs et autres managers de proximité. 

>> Dans le dernier rapport du Conseil national de productivité (CNP), plus de 60 % des managers reconnaissent que, « malgré un environnement non stabilisé et certainement pas idéal », la productivité de leurs collaborateurs a augmenté grâce au télétravail pendant la période covid. Le CNP estime en outre que « l’accélération du recours au télétravail lié à la crise sanitaire pourrait finalement aboutir à un gain durable de productivité » 

Une accélération de la transition numérique 

L’obligation de travail à distance a drastiquement accéléré l’adoption de technologies qu’un grand nombre d’entreprises avaient commencé à déployer dans le cadre de leur transition numérique. Il va sans dire que, sans ces outils, sans la part croissante de logiciels bureautiques, collaboratifs et métiers disponibles en mode SaaS, il n’y aurait pas eu de basculement massif vers le télétravail, surtout dans un délai aussi bref. Cela aurait été également impossible si la grande majorité des Français n’avaient pas disposé préalablement de connexions internet de bonne qualité à leur domicile. 

Ceci posé, les entreprises, en particulier les PME où le travail à distance n’avait pas encore sa place, ont eu dû : 

• Équiper rapidement d’ordinateurs portables ou de tablettes les salariés qui travaillaient jusque-là sur des postes fixes et leur fournir des « kits de télétravail » (casque, écran supplémentaire, fauteuil de bureau…) pour qu’ils travaillent dans les conditions les plus ergonomiques possibles.

Sécuriser les postes de travail distants ainsi que les accès aux ressources de l’entreprise afin de protéger les données. Les confinements ont notamment boosté l’adoption des VPN et des procédures d’authentification à deux facteurs.

Accompagner les utilisateurs dans des usages collaboratifs parfois très nouveaux pour eux, en particulier concernant le partage de fichiers, le recours aux messageries instantanées pour les échanges informels et, bien sûr, la visio dont l’utilisation a explosé quasiment du jour au lendemain. 

Si les débuts ont parfois été chaotiques, on sait que les entreprises qui ont fait ces efforts et ces investissements ne reviendront plus en arrière. Elles n’en sont aujourd’hui que mieux armées pour répondre aux nouvelles attentes de flexibilité de leurs collaborateurs en matière de modalités de travail. 

Le travail hybride sera la nouvelle norme

Depuis que les contraintes liées au covid se sont desserrées, on ne compte plus les enquêtes, études et sondages sur le devenir du télétravail. Leurs résultats convergent sur plusieurs points : 

8 salariés sur 10 ayant télétravaillé pendant la crise sanitaire continuent et souhaitent continuer à télétravailler sur une base régulière ;

• le télétravail à temps plein (« full remote ») n’est pratiqué, apprécié et souhaité que par une petite minorité

• Les jeunes actifs sont les moins favorables au « tout télétravail »

• Le rythme de télétravail jugé idéal est de 2 jours par semaine, ce qui semble s’imposer comme la norme

• La réduction du temps passé dans les transports est la première motivation des salariés qui demandent à télétravailler. 

Tout ceci confirme que, s’il tend aujourd’hui à se banaliser, le télétravail exclusif n’est pas du tout perçu comme une modalité de travail désirable. C’est le travail « hybride », flexible, alliant le meilleur des deux mondes, qui est plébiscité, notamment par les plus jeunes. Contrecoup de la période covid qui les a psychologiquement éprouvés, les jeunes actifs veulent avoir la possibilité matérielle de travailler chez eux ou dans un tiers lieu, mais revendiquent de pouvoir venir au bureau à leur guise et d’y avoir toute leur place, tant au sein du collectif de travail que spatialement parlant. 

>> Certains employeurs, et non des moindres, voient dans l’adoption plus large du télétravail l’opportunité de réduire significativement les surfaces de bureau et de généraliser le flex-office. L’enquête de la Fondation Jean- Jaurès sur les jeunes et l’entreprise montre que le flex-office ne correspond pas du tout aux attentes des jeunes collaborateurs qu’ils souhaitent attirer et fidéliser 

Cette forme d’organisation spatiale, où personne n’a de bureau attitré et où le nombre de places est inférieur au nombre de salariés, est loin de susciter leur engouement. Pour les 18-24 ans, l’environnement de travail idéal est d’abord un travail où ils ont un bureau attitré (38 % des citations, 49 % chez les bac+3) et, ensuite, un travail où ils peuvent être souvent chez eux (32 %). C’est un des paradoxes que les employeurs et les managers doivent apprendre à gérer, en gardant à l’esprit qu’il n’est pas impossible que le désir de télétravail reflue en France comme c’est déjà le cas en Espagne et en Allemagne. 

Un défi persistant pour les managers

Les managers de proximité sont ceux qui ont le plus souffert du télétravail imposé lors des différents confinements. N’ayant pour la plupart aucune expérience du management à distance et n’ayant bénéficié d’aucune formation dans ce domaine, beaucoup ont été désemparés et ont cherché à compenser l’éloignement en multipliant les « calls » et surtout les réunions en visio avec leur équipe.

D’après le Baromètre Télétravail 2022 de Malakoff Humanis, fin 2021, 43 % des managers estimaient que le télétravail à distance avait rendu leur rôle plus complexe, leurs principales difficultés concernant : 1/ la diminution des échanges informels (pour 37% d’entre eux), 2/ le maintien de la cohésion d’équipe (36%) et 3/ la gestion de la fragilité des collaborateurs (34%). Bien que déstabilisés, ils reconnaissent néanmoins que ce mode de travail contribue à une plus grande autonomie des collaborateurs (30%), à une baisse de l’absentéisme (23%), et à une plus grande satisfaction des salariés (23%). 

>> Les managers ont-ils trouvé leurs marques depuis ? Rien n’est moins sûr car, malgré les formations spécifiques, malgré les innombrables publications sur « l’art de manager son équipe à distance », malgré l’adoption massive d’outils collaboratifs et l’instauration de nouveaux rituels, ils sont aujourd’hui moins nombreux qu’en 2018 à se dire favorables au télétravail (55 % vs 45 %) (Malakoff Humanis). 

>> S’il est un domaine dans lequel les directions d’entreprise doivent investir pour intégrer pleinement le télétravail et en faire un atout en termes de productivité et d’attractivité, c’est bien dans l’accompagnement de leurs managers intermédiaires et de proximité. Au-delà de l’adoption de nouveaux outils, qui ne sont que des moyens, il s’agit de faire évoluer les postures et pratiques managériales pour passer de la « culture du contrôle », si prévalente en France, à une culture de la confiance et du résultat, en phase avec les attentes des salariés d’aujourd’hui, plus autonomes et mieux outillés que jamais. C’est un défi de taille, qui oblige à se recentrer sur le sens du travail et les motivations de chacun plutôt que de multiplier et imposer des process auxquels, à distance ou en présence, le travail ne saurait être réduit.